“On demande une voie protégée pour aider les filles non seulement à sortir d’Afghanistan, mais aussi pour rentrer [en France] dans des conditions dignes et protectrices”, plaide vendredi 21 avril sur franceinfo Solène Chalvon-Fioriti, membre du collectif Accueillir les Afghanes. Avec 350 personnalités, elle publie une tribune dans Le Monde pour appeler à repenser le système d’accueil des Afghanes en France. Cette ancienne correspondante en Afghanistan décrit le quotidien “cauchemardesque” des femmes sur place depuis le retour au pouvoir des talibans en août 2021 et la “machine infernale” pour quitter le pays. Solène Chalvon-Fioriti met en avant les dispositifs établis par la France pour accueillir les réfugiées ukrainiennes : “On a les moyens pour les loger, pour les protéger des trafics et les mettre dans des centres d’hébergement sans homme, on pourrait tout à fait déployer cet outil pour les Afghanes, mais on ne le fait pas”, regrette-t-elle.
franceinfo : Comment vivent les Afghanes depuis l’arrivée au pouvoir des talibans, il y a près de deux ans ?
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Solène Chalvon-Fioriti : Elles vivent un cauchemar. Les femmes des villes ont vu leur vie être radicalement transformée, puisqu’elles sont privées d’école après 12 ans. Les femmes des campagnes sont précipitées dans une pauvreté sans nom et sont elles-mêmes les victimes des talibans, puisqu’elles n’ont plus le droit de mendier, de se rendre aux distributions de nourriture ni même de se laver dans les bains publics. C’est donc un cauchemar que vivent les femmes afghanes aujourd’hui. Elles se rendent tout de même visibles dans les rues, elles continuent de sortir dans les bourgs provinciaux et dans la capitale, mais il y en a beaucoup moins qu’avant. D’abord, parce qu’elles sortiraient pour aller où ? Ensuite, elles sont conspuées et très couvertes. Elles restent donc surtout chez elles. Mais à Kaboul, on voit quand même des femmes sans chaperon, ce qui n’est pas le cas dans le reste du pays.
Certaines femmes continuent-elles de manifester malgré le danger ?
Des femmes manifestent à Kaboul. Elles sont peu nombreuses, mais c’est une forme de résistance. Elles résistent aussi notamment à travers le canal extraordinaire des écoles clandestines qui sont peut-être entre 10 et 15 000 aujourd’hui en Afghanistan. C’est leur façon de résister de manière plus souterraine, mais beaucoup plus percutante. Elles risquent gros [en faisant cela]. Les talibans s’en sont pris récemment contre ces écoles clandestines, alors qu’ils ont laissé faire pendant quasiment un an. Des enseignants ont été mis en prison récemment et à Kaboul et dans le centre du pays.
Dans votre tribune, vous demandez à la France d’accueillir les Afghanes ?
Il faut bien comprendre qu’on ne peut malheureusement pas aider les Afghanes de là où on est parce qu’on n’a plus d’ambassade sur place, parce qu’avec les sanctions américaines, vous ne pouvez pas envoyer d’argent en Afghanistan autrement que par le prisme des Nations unies qui risquent de quitter l’Afghanistan bientôt. En réalité, notre impact sur les Afghanes en Afghanistan est malheureusement assez mince. Elles sont non seulement enfermées chez elles, mais aussi enfermées dans leur pays. C’est très difficile de fuir l’Afghanistan aujourd’hui car il vous faut de l’argent pour obtenir un passeport au black, ensuite acheter un visa au black, passer la frontière avec un chaperon qui va vous racketter. C’est donc une machine infernale. Ensuite dans le pays tiers, comme le Pakistan, l’Iran ou la Turquie, vous allez devoir attendre de longs mois pour avoir une validation. Et quand vous arrivez en France, vous n’êtes pas hébergé, vous vous retrouvez sous un pont si vous n’avez pas des réseaux de bénévoles extraordinaires dans ce pays. Alors qu’en même temps, on voit très bien que quand on veut, on peut tendre la main aux Ukrainiennes, on a les moyens pour les loger, pour les protéger des trafics et les mettre dans des centres d’hébergement sans homme. On pourrait tout à fait déployer cet outil pour les Afghanes, mais on ne le fait pas. Et nous, on demande cette voie protégée pour aider les filles non seulement à sortir d’Afghanistan, mais aussi pour rentrer dans notre pays dans des conditions dignes et protectrices. On parle de quelques milliers de femmes seulement. On ne comprend donc pas ce blocage, ces délais. Il est temps de passer le stade de la contrition.